Refondation de l’ordre mondial : quel avenir pour la sécurité européenne ?

Tom TUGENDHAT
Le 27 mars, l’Institut Aspen France a organisé un déjeuner géopolitique en partenariat avec EY, accueillant Monsieur Tom Tugendhat, ancien ministre d’État à la Sécurité du Royaume-Uni et ancien président de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre des Communes. Autour d’une trentaine de participants, Tom Tugendhat a présenté sa réflexion sur le thème : « Refondation de l’ordre mondial : quel avenir pour la sécurité européenne ? ». Un échange qui a permis d’aborder des thématiques et enjeux cruciaux pour l’avenir de la sécurité européenne.
Tom Tugendhat est un homme politique et ancien militaire britannico-français. Il a étudié la théologie à l’université de Bristol, puis a poursuivi un master en études islamiques à l’Université de Cambridge, qui comprenait l’apprentissage de l’arabe au Yémen. Avant d’être élu député de Tonbridge en 2015, Tom Tugendhat participe aux opérations militaires britanniques en Irak et en Afghanistan en 2003. Il a également travaillé pour le Foreign Office, contribuant à la mise en place du Conseil de sécurité nationale afghan et du gouvernement de la province de Helmand. De retour au Royaume-Uni, il sert en tant qu’assistant militaire du chef d’état-major de la Défense, le plus haut responsable des forces armées britanniques. En tant que député, il est élu par ses pairs à la présidence de la Commission des affaires étrangères, un poste qu’il occupe de 2017 à 2022. Il est parmi les premiers à alerter sur la corruption étrangère comme menace pour la sécurité du Royaume-Uni et sur la diffusion d’influences malveillantes émanant d’États autoritaires. De 2022 à 2024, Tom Tugendhat occupe le poste de ministre de la Sécurité, supervisant les efforts du Royaume-Uni pour se protéger contre les menaces intérieures et extérieures. Il rédige, également, la loi sur la sécurité nationale de 2023, modernisant les textes en la matière pour faire face aux risques contemporains, tels que les cybermenaces. Il s’est concentré sur la lutte contre la radicalisation islamiste, l’influence iranienne ainsi que les activités russes et chinoises, ce qui a conduit à l’arrestation et à l’inculpation de plus d’espions de ces nations que durant la décennie précédente. Il a également mené des actions pour lutter contre l’exploitation infantile en ligne, la fraude et la cybercriminalité en collaboration avec des partenaires internationaux.
Une rencontre stratégique avec Tom Tugendhat, acteur clé du paysage britannique
La Présidente de l’Institut Aspen France, Anne Gabrielle Heilbronner, a ouvert la réunion en exprimant ses remerciements à Tom Tugendhat, qui avait fait le déplacement spécialement depuis Londres. Elle a souligné la rareté de la présence de personnalités britanniques au sein d’Aspen et a rappelé que la venue de Tom Tugendhat apportait une perspective précieuse, notamment en raison de son expérience en tant qu’ancien ministre, Home Secretary et militaire. Elle a salué la richesse de son parcours, qui le place en première ligne pour aborder des enjeux de sécurité, de défense, ainsi que de politique étrangère. La Présidente a aussi souligné que cette rencontre se déroulait en parallèle du Sommet de la Coalition des volontaires à Paris, où la guerre en Ukraine et ses solutions possibles étaient en discussion.
Évolutions géopolitiques post-Brexit et enjeux européens globaux
Tom Tugendhat a débuté son intervention en exprimant son honneur d’être invité à participer à cet échange et a abordé plusieurs thématiques clés. En premier lieu, il a évoqué les conséquences du Brexit pour le Royaume-Uni, précisant que la sortie de l’Union européenne avait modifié les relations du pays avec ses voisins européens tout en orientant le Royaume-Uni vers de nouvelles alliances internationales. Selon lui, face aux enjeux mondiaux, une réponse européenne coordonnée est plus que jamais nécessaire. Il a souligné qu’il était crucial que l’Europe fasse des choix stratégiques, notamment sur la scène internationale, où des changements profonds sont attendus.
Concernant l’orientation du Royaume-Uni, Tom Tugendhat a expliqué que, bien qu’il reste ancré en Europe, le pays cherche également à renforcer ses liens avec le Pacifique, dans un contexte de multiplication des accords internationaux, comme l’Accord de partenariat transpacifique. Il a notamment insisté sur l’importance de l’engagement du Royaume-Uni auprès de la Corée du Sud, du Japon et de l’Australie, afin de contrebalancer l’influence des États-Unis et de favoriser des relations plus autonomes et stratégiques dans cette zone géographique clé. En outre, il a abordé les défis économiques liés à la Chine, en soulignant l’impact de la hausse des taux de propriété et de la dépendance au pétrole.
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Les menaces géopolitiques: la nécessité d’une défense européenne renforcée
La deuxième partie de l’intervention a porté sur les défis géopolitiques immédiats auxquels l’Europe fait face, notamment en ce qui concerne la Russie et l’Iran. Selon lui, les pays européens, notamment la France et le Royaume-Uni, ne dépensent pas assez dans la défense et sont trop dépendants des États-Unis pour faire face à ces menaces. Il a précisé que cette dépendance compliquait la capacité d’action autonome de l’Europe, soulignant l’importance de renforcer la défense commune face à ces défis multiples.
Sur la question de l’Ukraine, un autre point important a été abordé avec les participants : les accords de Lancaster House et leur pertinence en cas de cessez-le-feu en Ukraine. Bien que Tugendhat ait soutenu ces accords, il a exprimé des doutes quant à leur impact réel sur le terrain, évoquant une possible insuffisance de ressources humaines et militaires pour intervenir efficacement. Il a insisté sur le fait que ce qui comptait réellement était le soutien à une présence de paix, un engagement difficile mais nécessaire, qui demande un fort investissement et une coordination sans faille entre les alliés européens.
Un autre point essentiel a été soulevé concernant l’Europe et la manière de répondre aux changements apportés par la politique étrangère de Donald Trump. Pour Tom Tugendhat, l’Europe doit faire un choix stratégique clair face à ce changement : il a souligné qu’il est primordial d’être honnête avec les citoyens sur les enjeux actuels. Il a également ajouté qu’il ne faut pas faire un choix entre l’économie et la défense, car ces deux domaines sont totalement interconnectés. Selon lui, « échouer sur l’un, c’est échouer sur les deux ». Ce message a été particulièrement marquant, rappelant l’importance de maintenir un équilibre solide entre la sécurité nationale et les enjeux économiques pour assurer une stabilité durable.
Pour conclure, Anne Gabrielle Heilbronner a exprimé sa satisfaction quant à la richesse et la clarté des échanges. Elle a salué l’analyse pertinente de Tom Tugendhat sur les enjeux géopolitiques actuels et l’importance de se rapprocher des citoyens. Elle a particulièrement apprécié la réflexion autour de l’impact des votes des jeunes et la vision pragmatique de Tugendhat face aux défis mondiaux. La Présidente a ensuite exprimé son vœu d’un renforcement des liens entre la France et le Royaume-Uni, soulignant la nécessité de continuer à travailler ensemble pour relever les défis de demain. Elle conclut son intervention en citant Jean Lacouture : « L’un incarnait la grandeur britannique, l’autre la grandeur française, cela ne pouvait provoquer que des étincelles », une citation qui résume parfaitement l’esprit de cet échange.
Un grand merci à Issam Taleb, représentant d’EY, partenaires de la série des déjeuners géopolitiques.
