Dominique NORA

Le 14 avril, l’Institut Aspen France, en partenariat avec le groupe Henner, a eu le plaisir d’accueillir la journaliste Dominique Nora pour une rencontre autour de son ouvrage Voyage dans les médecines psychédéliques. Devant une audience attentive, elle a partagé une réflexion riche et passionnante sur les enjeux et les promesses de ces nouvelles approches thérapeutiques, donnant lieu à un débat stimulant et profond.

Dans un contexte de crise croissante de la santé mentale, les médecines psychédéliques connaissent un regain d’intérêt. Dominique Nora, dans son ouvrage Voyage dans les médecines psychédéliques, retrace cette renaissance, particulièrement active dans les pays anglo-saxons comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, ou encore l’Australie. Elle revient sur l’histoire du LSD, utilisé dans les années 1950-60 comme adjuvant à la psychothérapie, avec des patients célèbres tels que Cary Grant. Après une période de stigmatisation et d’interdiction, ces substances reviennent dans les discussions médicales à la fin des années 1990, grâce notamment aux progrès de l’imagerie cérébrale. Depuis, les essais cliniques se multiplient, notamment sur des pathologies comme le stress post-traumatique, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles alimentaires ou encore les traumatismes liés aux abus sexuels. La MDMA, par exemple, a failli être autorisée par la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis, sous la pression de lobbies favorables à son usage thérapeutique pour les vétérans. En Suisse – pays d’origine du LSD – un programme autorise même l’usage encadré de cette substance depuis 2014.

Dominique Nora prend soin d’expliquer l’origine du mot psychédélique, issu du grec psyché (âme) et deloo (révéler, rendre visible), soulignant ainsi leur lien profond avec la conscience. Les substances concernées – LSD, ayahuasca, kétamine, MDMA… – induisent des états modifiés ou augmentés de conscience, posant la question : ces drogues altèrent-elles la perception ou la révèlent-t-elles ? La journaliste met en lumière l’importance des paramètres appelés « set and setting », c’est-à-dire l’état mental et physique de la personne (set), et le contexte social ou environnemental dans lequel la prise a lieu (setting). Ces éléments déterminent en grande partie l’effet de la substance et la nature de « l’expérience ». Dominique Nora, convaincue du potentiel thérapeutique de ces molécules, explore dans son livre les témoignages de nombreux patients ayant bénéficié de ces traitements. Elle insiste toutefois sur la nécessité de prudence, évoquant les risques cardiaques, d’hypertension etc…

À travers son enquête, Dominique Nora livre un ouvrage engagé, à la fois optimiste et vigilant. Elle souligne que ces substances ne doivent pas être vues comme des solutions miracles, mais comme des outils puissants à utiliser avec rigueur et accompagnement. L’efficacité des psychédéliques serait notamment liée à leur intégration dans un processus de psychothérapie, à la rapidité de leur effet, et à leur potentiel irréversible lorsqu’ils fonctionnent. Mais leur usage soulève aussi des enjeux culturels et politiques : comment la société française, marquée par une culture de la répression et un rapport complexe entre science et spiritualité, peut-elle intégrer ces nouvelles pratiques ? Dominique Nora pose également la question du coût de ces thérapies et du danger de leur diffusion non encadrée, notamment dans les milieux illégaux en France. Elle alerte sur le risque d’un développement anarchique, poussé par un besoin grandissant de mieux-être dans une société qui, selon elle, « fabrique du mal-être ». Enfin, elle interroge l’absence de réaction du monde médical et scientifique français face à un phénomène qui suscite un engouement mondial croissant. Pour elle, la France, pays de science et de médecine de haut niveau, doit prendre sa part dans ce mouvement, tout en garantissant un cadre éthique et médical strict. Son livre se veut donc un appel à faire avancer la recherche, à reconnaître les besoins, mais aussi à éviter les dérives.

Dominique Nora termine son intervention sur un double appel : ne pas ignorer le potentiel thérapeutique des psychédéliques, tout en évitant un usage incontrôlé. Face à l’ampleur du mal-être actuel, elle plaide pour une réponse scientifique, rigoureuse et encadrée. Plus qu’une tendance, elle y voit un chantier essentiel pour l’avenir de la santé mentale.