Petit-Déjeuner Géo-économie animé par Christine Ockrent en compagnie de Natacha Valla et Claire Demesmay

À quelques semaines des législatives allemandes, Natacha Valla en tandem avec Claire Demesmay, lors d’un petit déjeuner géo économie, en partenariat avec Alix Partners, modéré par Christine Ockrent, ont livré aux membres et invités d’Aspen leurs interrogations sur le futur indécis de la Bundesrepublik Deutschland.

 

Natacha VALLA –

Natacha Valla est doyenne de l’École de management et d’innovation de Sciences Po. Jusqu’en 2020, elle a été directrice générale adjointe pour la politique monétaire à la BCE. Entre 2015 et 2018, elle a été cheffe de la Division Politique et Stratégie de la BEI et membre permanent du Conseil d’Analyse Économique (CAE). Elle a été directrice exécutive de Goldman Sachs Global Economic Research entre 2008 et 2014. Elle a travaillé comme économiste à la BCE entre 2001 et 2008, détachée en 2005 à la Direction des études de la Banque de France. Elle a également été consultante pour le FMI et l’OCDE, et a enseigné à l’université de New York (NYU) et aux universités de Florence, Paris-Dauphine, HEC et Sciences Po Paris. Elle est également membre du conseil d’administration des groupes ASF/Cofiroute, LVMH, SCOR et Wakam. Natacha Valla a obtenu un doctorat en économie de l’Institut universitaire européen (Florence) en 2003.

Claire DEMESMAY  –

Claire Demesmay est experte en matière de coopération franco-allemande, actuellement professeur à la chaire Alfred Grosser de Sciences Po Paris et chercheuse associée au Centre Marc Bloch de Berlin. Elle est docteur en philosophie politique de l’Université Sorbonne – Paris 4 et de l’Université technique de Berlin et habilitée en études germaniques. Ses recherches portent sur la coopération franco-allemande en Europe, la politique européenne et étrangère de la France et de l’Allemagne, ainsi que les attitudes des jeunes et les représentations des acteurs sociaux. Avant de rejoindre l’OFAJ, elle a dirigé le programme « France/Relations franco-allemandes » de l’Institut allemand de politique étrangère (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik, DGAP) à Berlin (2009-2021), et a été chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Paris (2002-2009). Elle a aussi travaillé à la chaire d’études françaises et francophones de l’Université technique de Dresde (1998-2002).

La crise économique structurelle

Natacha Valla a commencé sa réflexion par présenter la crise systémique que traverse l’économie allemande, autrefois locomotive de l’Europe. Depuis la pandémie de Covid-19, le pays enregistre une croissance atone révélant les fissures d’un modèle industriel triplement vulnérable. Cette vulnérabilité se manifeste d’abord par sa dépendance énergétique à la Russie, brutalement exposée par la guerre en Ukraine, entraînant une inflation record et une baisse de compétitivité des entreprises. Ensuite, l’Allemagne est exposée aux tensions sino-américaines, particulièrement dans des secteurs-clés comme l’automobile. Enfin, le pays accuse un retard technologique persistant dans la transition numérique et verte. Cette triple fragilité s’aggrave sous l’effet d’une bombe à retardement démographique, avec une population vieillissante qui pourrait coûter à l’Allemagne 5% de croissance potentielle d’ici 2030 sans une politique migratoire massive.

La fragmentation politique

 

 

Claire Demesmay nous a offert une analyse approfondie de la situation politique allemande.   Les élections fédérales s’annoncent comme un séisme institutionnel, avec le CDU perdant du terrain dans les sondages par suite de son alliance tactique controversée avec l’AFD. Ce rapprochement a brisé un tabou politique hérité de la dénazification, entamant durablement la crédibilité du parti. Aucune coalition majoritaire ne se dessine entre les principaux partis, pouvant plonger le pays dans une paralysie post-électorale. Le candidat CDU Friedrich Merz incarne ce malaise, son atlantisme affiché contrastant avec une opinion publique divisée sur le soutien à l’Ukraine. Cette instabilité politique nourrit un repli national inédit depuis la réunification, avec le rétablissement des contrôles aux frontières et une priorisation de l’agenda intérieur sur les dossiers européens.

 

La recomposition identitaire

Pour terminer, les deux intervenantes ont abordé la question de l’identité nationale allemande, affaiblie par les événements. Le traumatisme de la dépendance énergétique à la Russie a ébranlé la confiance dans les élites, tandis que la question migratoire polarise une société partagée entre ouverture économique et tentation sécuritaire. Le pays hésite entre perpétuer un modèle social-économique à bout de souffle et accepter une transformation douloureuse mais nécessaire. Le débat sur la dette illustre ce changement d’ère, une majorité des citoyens soutenant désormais une mutualisation partielle des emprunts européens pour financer la défense ou la transition écologique.

Dans ce contexte, les élections de 2025 pourraient marquer un tournant historique, le prochain chancelier héritant d’une Allemagne moins puissante économiquement mais plus consciente de ses vulnérabilités stratégiques. La gestion de cette transition, entre exigences européennes et tentations souverainistes, déterminera non seulement l’avenir allemand mais celui de tout le continent.