Les nouveaux enjeux du développement international

 

Rémy Rioux

 

Le 21 mai, l’Institut Aspen France a organisé un petit-déjeuner géoéconomie autour de Rémy Rioux, Directeur général de l’Agence française de développement (AFD), consacré aux nouveaux enjeux du développement international. Modérée par Christine Ockrent et en partenariat avec AlixPartners, la discussion s’est tenue le jour même de la publication d’un sondage inédit sur la perception des Français de l’action de l’AFD. Un échange riche et éclairant à l’heure où les dynamiques du développement sont en pleine transformation.

 

 

Rémy Rioux – Directeur général de l’Agence française de développement

Haut fonctionnaire, économiste, et spécialiste reconnu du financement du développement, Rémy Rioux est directeur général de l’Agence française de développement (AFD) depuis 2016.  Avant d’intégrer l’AFD, il exerce des missions de contrôle dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, la défense ou l’industrie dans les années 2000 en tant qu’auditeur à la Cour des Comptes. Sa carrière est également marquée par des responsabilités liées au continent africain. Il dirige entre 2004 et 2007 le bureau en charge de la coopération monétaire avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique à la Direction du Trésor. En 2012, il devient directeur de cabinet du ministre de l’Économie Pierre Moscovici, où il pilote de nombreux dossiers économiques, financiers et industriels.  Rémy Rioux est nommé, en 2014, secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères, dans lequel il contribue à refonder la diplomatie économique française et coordonne l’agenda financier de la COP21. À la tête de l’AFD, il impulse une stratégie centrée sur les Objectifs de développement durable (ODD). Il accueille à Paris en 2020 le Sommet Finance en Commun et préside, jusqu’en 2023, l’International Development Finance Club (IDFC), acteur majeur du financement international du développement.  En 2024, il est mandaté par le Président de la République française, Emmanuel Macron, et le Président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, pour organiser le premier sommet international « Sport pour le développement durable », à la veille des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

La présidente Anne-Gabrielle Heilbronner a salué une vision ambitieuse et globale du développement portée par un fin connaisseur de ces sujets et en particulier du continent africain. Face aux coupes budgétaires en France, en Europe, comme aux États-Unis, elle a soulevé une question centrale : comment continuer à œuvrer et préserver, notamment, les intérêts de la France et de ses entreprises ? Christine Ockrent a souligné l’ampleur du tournant en cours dans les politiques d’aide au développement.

 

Une transformation du monde

Dans L’aplatissement du monde, la crise de la culture et l’empire des normes, Olivier Roy explore les conséquences de la mondialisation sur la culture de nos sociétés. Il montre comment l’avènement de la technologie, de la communication et du commerce mondialisés ont entraîné une uniformisation culturelle, diluant les particularités locales au profit d’une homogénéisation de la culture.

 

L’expansion d’un “empire des normes”

Selon lui, il y a une émergence d’un “empire des normes” qui dicte les comportements, les valeurs et les modes de vie acceptables à l’échelle mondiale. Les normes économiques, sociales et culturelles se propagent rapidement grâce aux médias, aux entreprises et aux institutions internationales, influençant profondément les sociétés et limitant parfois les choix individuels. 

Comment réapprendre à faire société et à reconstruire un lien social qui soit fondé sur un imaginaire partagé ? La crise de la culture est-elle irréversible ? Enfin, comment retrouver un collectif et réapprendre à accepter nos différences, sans les réduire à des images grossières et stéréotypées ?

Une aide au développement en pleine recomposition

 

 

Rémy Rioux a ouvert la discussion en soulignant les mutations profondes du paysage international. Aux États-Unis, la contradiction est flagrante : suppression de l’aide annoncée d’un côté, et réception de la DFC (Development Finance Corporation) à la Maison Blanche de l’autre. Cette agence américaine d’investissement, désormais très active en Afrique, symbolise une nouvelle logique : financer des projets en contrepartie d’objectifs géopolitiques. Depuis neuf ans à la tête de l’AFD, Rémy Rioux insiste sur le caractère structurant des politiques de développement. Il rappelle le consensus mis en œuvre depuis la fin de la seconde guerre mondiale : les États-Unis assurent la sécurité mondiale, tandis que les Européens financent le développement. Aujourd’hui, ce modèle vacille.

Perceptions, crispations et recomposition du sens

Rémy Rioux a dévoilé les résultats d’un sondage sur la perception des Français vis-à-vis de l’action internationale : 80 % des Français estiment que les enjeux mondiaux ont un impact direct sur leur vie quotidienne et 66 % souhaitent que la France agisse avec ses partenaires, un chiffre qui atteignait même 80 % pendant la crise du Covid.

Cependant, un autre constat majeur émerge : les citoyens ont le sentiment que ces sujets ne leur sont pas suffisamment expliqués. Beaucoup ignorent les actions menées par la France à l’international, ce qui crée un fossé entre la réalité des efforts fournis et la perception. Ce décalage alimente une crispation politique, avec une incompréhension croissante face aux politiques d’aide au développement. Le Directeur général de l’AFD souligne également la mutation du sens de l’aide au développement : traditionnellement centrée sur la lutte contre la pauvreté, elle intègre désormais de plus en plus les enjeux climatiques, sans qu’une véritable synthèse entre ces deux priorités ne soit encore faite.

Nouveaux équilibres : financements privés et coalition publique mondiale

Rémy Rioux a rappelé que l’aide au développement repose encore majoritairement sur des financements publics. Face à la baisse des budgets, il a souligné la nécessité de mobiliser davantage le secteur privé. Cela implique de revoir les incitations, les critères de performance et les mécanismes de partage des risques, notamment via l’émission d’obligations ou des partenariats public-privé plus ambitieux. En parallèle, il a présenté le sommet Finance en commun, qu’il a initié en 2020 et dont l’édition 2025 s’est tenue au Cap, en Afrique du Sud. Cette plateforme réunit chaque année plus de 500 banques publiques de développement pour coordonner leurs efforts et aligner leurs investissements sur les Objectifs de développement durable et l’Accord de Paris. L’édition 2025 a notamment porté sur la finance inclusive, la résilience climatique, la transformation numérique et la coopération entre acteurs publics et privés.

Les participants ont soulevé plusieurs questions, parmi lesquelles celles de la bonne connaissance et compréhension des impacts concrets de l’action de l’AFD au-delà des chiffres relatifs aux projets pris individuellement. L’un des sujets abordés a aussi été la question géopolitique du retrait progressif de l’aide américaine et le rôle croissant des Européens dans le financement du développement, notamment à travers le Fonds européen de développement.

En conclusion, Rémy Rioux a réaffirmé l’importance de dépasser les anciennes dichotomies entre pays développés et en développement et de reconstruire un discours cohérent qui reconnecte enjeux nationaux et internationaux. Le défi est de taille : préserver un modèle de développement solidaire, crédible et durable, capable de répondre aux transitions mondiales, tout en restant lisible pour nos concitoyens.

Dans cette perspective, parler d’investissement solidaire et durable semble préférable. Ce changement de vocabulaire reflète une ambition : penser le développement comme un engagement partagé, structurant, inscrit dans une logique de partenariat et d’intérêt mutuel.